Imaginez que vous lisez un livre de 500 pages et que, à chaque paragraphe, on vous demande de vous souvenir de tout ce qui s’est passé avant. Après 50 pages, vous commencez à oublier les détails importants. C’est exactement ce qui arrive aux modèles de langage quand ils dépassent leur fenêtre de contexte.
Qu’est-ce qu’une fenêtre de contexte ?
Une fenêtre de contexte, c’est la quantité maximale de texte qu’un modèle de langage peut traiter en une seule fois. Ce n’est pas un nombre de mots, ni de caractères - c’est un nombre de tokens. Un token, c’est une unité de base : un mot, une partie de mot, ou même un symbole. Par exemple, le mot « chat » peut être un seul token, mais « chatons » peut être divisé en deux : « chat » et « -ons ».
Les modèles comme GPT-4 Turbo, Claude 3.7 Sonnet ou Gemini 1.5 Pro ont des fenêtres de contexte de 128 000, 200 000 et même 1 million de tokens. Pour vous donner une idée, 1 000 tokens équivalent à environ 750 mots en anglais. Donc, une fenêtre de 128 000 tokens, c’est environ 96 000 mots - soit un livre de 300 pages. Mais même avec cette capacité, les modèles ne peuvent pas lire un livre entier d’un coup s’il dépasse leur limite.
Pourquoi les fenêtres de contexte existent ?
Cette limite n’est pas une erreur. Elle vient de la structure même des modèles modernes : l’architecture transformer. Inventée en 2017 par Google, elle repose sur un mécanisme appelé attention. Ce mécanisme permet au modèle de regarder chaque mot et de voir comment il se relie à tous les autres mots dans la fenêtre. C’est ce qui permet de comprendre que « il » dans une phrase fait référence à « le chien » mentionné cinq phrases plus tôt.
Mais voilà le problème : pour chaque mot, le modèle doit calculer sa relation avec tous les autres. Si vous avez 100 tokens, c’est 10 000 calculs. Si vous avez 10 000 tokens, c’est 100 millions de calculs. Et si vous avez 1 million de tokens ? C’est un trillion de calculs. C’est ce qu’on appelle une complexité quadratique - O(n²). Cela signifie que doubler la fenêtre de contexte quadruple la puissance de calcul nécessaire. Les GPU ne peuvent pas suivre indéfiniment. La mémoire vive (VRAM) se remplit, les temps de réponse ralentissent, et les coûts explosent.
Que se passe-t-il quand on dépasse la limite ?
Quand un document est trop long, le modèle ne peut pas tout garder à l’esprit. Il doit « glisser » la fenêtre : il garde les derniers tokens et jette les plus anciens. C’est comme si vous lisiez un contrat juridique et qu’à chaque page, on vous effaçait les 10 premières lignes. Vous ne comprenez plus pourquoi certaines clauses existent. C’est exactement ce que vivent les développeurs qui travaillent avec de grands fichiers de code.
Sur Reddit, des utilisateurs rapportent régulièrement que leurs assistants IA « refusent de continuer la conversation » après avoir analysé un peu de code. Pourquoi ? Parce que le modèle a perdu le début du fichier. Il ne sait plus quelle fonction a été définie en haut, ou quelles variables ont été déclarées. C’est une rupture de cohérence totale.
Les modèles les plus puissants en 2025
Les grandes entreprises ont poussé les limites. Voici où en sont les principaux acteurs en décembre 2025 :
- GPT-4 Turbo : 128 000 tokens - capable de traiter un document de 300 pages, mais avec une baisse de 15 % de précision au-delà de 64 000 tokens.
- Claude 3.7 Sonnet : 200 000 tokens - le meilleur pour les documents techniques. Il peut lire un manuel de 500 pages d’un coup, et il a même une fonction de « cache de contexte » qui retient 20 % des informations précédentes même après un glissement.
- Gemini 1.5 Pro : 1 000 000 tokens - le plus grand jusqu’à présent. Il peut traiter 2 500 pages de texte ou une heure de transcription audio. Mais il est 40 % plus lent que Claude 3 sur des documents plus courts, et 3,2 fois plus cher.
Les coûts ne sont pas négligeables. Traiter 100 000 tokens avec GPT-4 Turbo coûte environ 0,001 $, contre 0,0003 $ pour 32 000 tokens. Pour une entreprise qui traite des milliers de documents par jour, ça fait une différence de centaines de dollars par mois.
Les solutions pour contourner la limite
On ne peut pas toujours attendre que les modèles deviennent plus puissants. Alors, comment faire avec des documents longs aujourd’hui ? Voici les méthodes les plus efficaces :
- RAG (Retrieval-Augmented Generation) : Au lieu de tout envoyer au modèle, on extrait les parties les plus pertinentes d’un document long, comme un résumé ou des extraits clés, et on les donne au modèle. C’est comme donner à quelqu’un un index plutôt que tout le livre.
- Segmentation manuelle : Couper le document en morceaux de 10 000 à 30 000 tokens, traiter chaque partie, puis résumer et relier les résultats. C’est fastidieux, mais c’est ce que font la plupart des entreprises aujourd’hui.
- Mémoire augmentée (MemGPT) : Certains systèmes utilisent une mémoire externe pour stocker des informations importantes entre les appels. C’est comme prendre des notes pendant une réunion et les consulter plus tard.
- Attention focalisée : Des recherches récentes (comme le « Focal Transformer » de Google en 2024) permettent au modèle de se concentrer uniquement sur les tokens les plus pertinents, en ignorant le reste. Cela réduit la charge sans sacrifier la précision.
Une étude de Swimm.io montre que fournir 5 à 7 fragments de 512 tokens (soit 2 560 à 3 584 tokens au total) donne de meilleurs résultats que d’envoyer 100 000 tokens sans tri. Moins, c’est parfois mieux.
Les pièges des grandes fenêtres
Plus grand n’est pas toujours mieux. Les modèles avec des fenêtres énormes commencent à montrer des signes de fatigue.
OpenAI a observé que GPT-4 Turbo devient moins précis sur des tâches complexes quand on dépasse 64 000 tokens. Anthropic a trouvé que les modèles avec plus de 75 % de leur fenêtre remplie produisent 12 % de contenu hors sujet. Et Gemini 1.5, malgré sa capacité, a un temps de réponse 60 % plus long quand on utilise sa fenêtre maximale.
C’est comme avoir une mémoire à long terme… mais sans pouvoir la lire rapidement. Le modèle voit tout, mais il ne sait plus quoi retenir. Il commence à inventer des liens, à répéter des idées, ou à se perdre dans les détails.
Comment ça affecte les développeurs ?
Les développeurs sont les premiers touchés. Dans une enquête de JetBrains en août 2024, 45 % des utilisateurs de GitHub Copilot ont rencontré des erreurs de dépassement de contexte quand ils travaillaient avec plusieurs fichiers liés. Ils devaient tout réinitialiser, perdre leur fil, et recommencer depuis le début.
Sur Reddit, un développeur a écrit : « J’ai essayé d’analyser notre base de code entière avec Claude 3.5 Sonnet. Pour la première fois, je n’ai pas eu à couper les fichiers. La différence avec il y a six mois est incroyable. »
Les outils comme Cursor IDE, qui intègrent Claude 3, sont devenus populaires précisément parce qu’ils gèrent mieux les grands fichiers. Mais même eux ont des limites : 78 % des développeurs professionnels dépassent la fenêtre de contexte quand ils travaillent avec des projets de 10 000 à 50 000 lignes de code.
Quel avenir pour les fenêtres de contexte ?
La course aux grandes fenêtres continue. Meta prépare Llama 4 avec une fenêtre de 2 millions de tokens. Les analystes prévoient 5 millions de tokens d’ici 2026. Mais ce n’est pas la seule voie.
Les chercheurs se tournent de plus en plus vers des architectures alternatives, comme les State Space Models (SSMs). Contrairement aux transformers, ils n’ont pas de complexité quadratique. Ils peuvent théoriquement traiter des milliards de tokens sans ralentir. Leur adoption pourrait arriver d’ici 2027, selon Forrester.
En attendant, la tendance est claire : on ne cherche plus seulement à agrandir la fenêtre. On cherche à la rendre plus intelligente. À choisir ce qui compte vraiment. À ne pas tout voir - mais à voir le bon contenu.
Comment gérer votre propre contexte ?
Si vous utilisez un modèle de langage pour analyser des documents longs, voici ce qu’il faut faire :
- Ne soumettez jamais le document entier. Préparez-le : extrayez les sections clés.
- Utilisez des résumés. Un bon résumé de 2 000 tokens vaut mieux qu’un extrait de 20 000 tokens sans structure.
- Testez la précision. Si le modèle répond de façon vague ou contradictoire, c’est qu’il a perdu le fil.
- Surveillez les coûts. Un modèle avec 1 million de tokens peut vous coûter 10 fois plus qu’un modèle avec 32 000 tokens - même si vous n’avez pas besoin de tout ce qu’il peut traiter.
- Choisissez le bon modèle. Pour les documents techniques, Claude 3.7 Sonnet est souvent le meilleur compromis. Pour les longues transcriptions audio, Gemini 1.5 Pro reste incontournable.
La fenêtre de contexte n’est pas un problème à résoudre. C’est une caractéristique fondamentale de l’intelligence artificielle actuelle. Comme notre mémoire à court terme, elle est limitée. Mais comme nous, on peut apprendre à la gérer. À faire des notes. À se concentrer sur ce qui compte.
Qu’est-ce qu’un token dans un modèle de langage ?
Un token est l’unité de base que les modèles de langage utilisent pour traiter le texte. Ce peut être un mot complet (comme « chat »), une partie de mot (comme « -ons » dans « chatons »), ou même un symbole comme « ! ». En anglais, un token équivaut en moyenne à 0,75 mot. Les modèles ne « lisent » pas les mots comme nous - ils travaillent avec ces unités plus petites, ce qui permet une meilleure flexibilité linguistique.
Pourquoi les fenêtres de contexte ne peuvent-elles pas être infinies ?
Parce que le mécanisme d’attention, qui permet au modèle de relier chaque mot à tous les autres, a une complexité quadratique. Cela signifie que doubler la longueur du texte multiplie par quatre la puissance de calcul nécessaire. Les GPU n’ont pas une mémoire infinie, et les coûts énergétiques deviennent prohibitifs. Même les meilleurs modèles actuels sont limités par la physique et l’économie, pas seulement par la technologie.
Quel modèle choisir pour analyser un contrat juridique de 100 pages ?
Pour un contrat de 100 pages (environ 30 000 mots), un modèle avec 128 000 tokens comme GPT-4 Turbo ou Claude 3.7 Sonnet peut le traiter en une seule fois. Claude 3.7 Sonnet est souvent préféré car il est plus précis sur les textes juridiques et plus économique. Mais si vous avez besoin de comparer plusieurs contrats en même temps, il vaut mieux les segmenter et utiliser un système RAG pour garder les éléments clés en mémoire externe.
Est-ce que les modèles avec de grandes fenêtres sont plus intelligents ?
Non. Une grande fenêtre ne signifie pas un meilleur raisonnement. Elle permet simplement de traiter plus de texte en une fois. Un modèle avec 1 million de tokens peut lire un livre entier, mais il ne comprend pas mieux que celui avec 32 000 tokens s’il n’est pas bien entraîné. La qualité de la réponse dépend davantage de la qualité des données d’entraînement et de la capacité à filtrer l’information pertinente que de la taille de la fenêtre.
Les modèles locaux (comme Mistral) ont-ils de bonnes fenêtres de contexte ?
Les modèles locaux comme Mistral 7B ont généralement des fenêtres de 32 000 à 64 000 tokens - suffisantes pour la plupart des tâches courantes, mais pas pour les documents très longs. Ils sont plus rapides et moins chers, mais ils ne peuvent pas rivaliser avec les grands modèles cloud pour les tâches exigeantes. Pour les utilisateurs qui veulent garder leurs données privées, ils sont excellents, tant qu’on ne dépasse pas leur limite.
2 Commentaires
Beau Graves
C’est fou comment on oublie que l’IA, malgré tout son génie, a une mémoire de poisson rouge. J’ai testé ça avec un contrat de 80 pages il y a deux semaines, et le modèle a complètement zappé la clause de résiliation en page 5. J’ai dû découper en 4 morceaux et relier les réponses à la main. C’est pas parfait, mais ça marche.
Je crois qu’on sous-estime trop la puissance du résumé. Un bon résumé de 2000 tokens, c’est comme un plan de bataille - tu vois tout, sans te noyer.
On devrait tous apprendre à penser comme des éditeurs, pas comme des copy-pasteurs.
Emeline Lavalle
Je trouve ça tellement humain, cette limite. On a tous une fenêtre de contexte mentale, non ? Tu écoutes quelqu’un raconter son week-end, et à la troisième anecdote sur son chien, t’as oublié pourquoi il te parle de son boulot. L’IA, elle, elle fait ça à l’échelle d’un livre.
Le truc, c’est qu’elle ne s’excuse pas. Elle continue comme si tout allait bien. C’est ça qui fait peur.
Je préfère les outils qui me disent « j’ai perdu le fil », plutôt que ceux qui inventent des liens qui n’existent pas. Claude 3.7, c’est mon petit ami de l’IA : honnête, précis, et il ne me ment jamais.